Une décision très peu commentée

La décision récente de la Cour européenne des droits de l’’homme en faveur des Témoins de Jéhovah

Cour Européenne des Droits de l'hommeLa décision récente de la Cour européenne des droits de l’’homme en faveur des Témoins de Jéhovah (arrêt du 30 juin 2011 « Association Les Témoins de Jéhovah c. France », requête n°8916/05) a été très peu commentée dans la presse.

Pourtant, la lecture du jugement complet (disponible sur le site internet de la CEDH) est édifiante : on y apprend que la France, sans honte, avait détourné une disposition du code des impôts jusque là prévue pour les seules personnes physiques, la taxation des dons manuels à hauteur de 60%, pour l’appliquer pour la première fois à une association, en l’occurrence l’association cultuelle des Témoins de Jéhovah.

En 1995, une commission d’enquête parlementaire venait de publier son premier rapport sur les « sectes » et il fallait un exemple ! Rien de plus facile que d’utiliser le bras armé du fisc pour détruire un des mouvements listés dans le rapport. L’arrêt de la CEDH nous rappelle dans quelles dispositions se trouvait alors le ministre du Budget :

 Lors du débat sur le rapport de la commission d’enquête sur les sectes à l’Assemblée Nationale, le 8 février 1996 (J.O. du 9 février 1996), le ministre du Budget s’exprima comme suit :« (…) Je remercie d’abord le rapporteur d’avoir, dans son excellent rapport, rendu hommage aux services fiscaux dont l’action a permis, à plusieurs reprises, une certaine répression de l’activité des sectes. (…) Au-delà du contrôle fiscal, les conséquences peuvent être encore plus graves. En effet, le contrôle peut déboucher sur des procédures de règlement judiciaire ou sur des actions pénales à l’encontre des dirigeants de la secte, actions qui sont de nature à déstabiliser le fonctionnement de l’association, voire à la mettre dans l’obligation de cesser ses activités sur notre territoire. Le contrôle fiscal peut donc constituer la première étape d’un processus qui désorganise profondément la secte ou aboutit à sa dissolution (…) » » (extrait de l’’Arrêt de la Cour).

Le produit des quêtes dans les offices religieux des Témoins fut donc considéré par le fisc comme un « don manuel » taxable à hauteur de 60%. A la taxe s’ajoutaient 80% de pénalités pour absence de déclaration ! Un redressement portant sur un montant équivalent à 22 920 392 EUR à titre principal et 22 418 484,84 EUR au titre des pénalités et intérêts de retard fut notifié aux Témoins de Jéhovah. Inutile de dire que les Témoins n’étaient pas en mesure de payer une telle somme et que le fisc s’apprêtait à faire main basse sur leurs biens mobiliers et immobiliers pour recouvrer sa créance.

Heureusement la CEDH y a vu une intolérable ingérence de l’Etat dans le libre exercice d’un culte, liberté garantie par la convention européenne des droits de l’homme. Voici par exemple ce qu’’écrit la Cour :

«  La cour constate que les dons litigieux constituant la source essentielle de financement de l’association par les fidèles, ceux-ci peuvent prétendre être directement affectés par la mesure fiscale. En effet, la taxation dont il s’agit a menacé la pérennité, sinon entravé sérieusement l’organisation interne, le fonctionnement de l’association et ses activités religieuses, étant observé que les lieux de culte étaient eux-mêmes visés […] Vu l’impact de cette mesure sur les ressources de l’association requérante et sur sa capacité à mener son activité religieuse en tant que telle, la Cour conclut à l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention. »

La Cour a également cru utile de rappeler dans son arrêt que

« sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci ».

Et, plus loin :

« Un refus de reconnaissance d’une association religieuse, la dissolution de celle-ci, l’emploi de termes péjoratifs à l’égard d’un mouvement religieux constituent des exemples d’ingérences dans le droit garanti par l’article 9 de la Convention, dans sa dimension extérieure et collective, à l’égard de la communauté elle-même mais également de ses membres (Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres, précité, §§ 105 et 129-130 ; Eglise de Scientologie de Moscou c. Russie, no 18147/02, §§ 81-85, 5 avril 2007 ; Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres, précité, §§ 79-80 ; Les Témoins de Jéhovah de Moscou, précité, § 101). »

Ce qui est grave dans cette affaire c’est que si ce contrôle fiscal avait abouti, cela aurait créé une épée de Damoclès au dessus de toutes les associations. Quelle association peut survivre si l’Etat lui prend 60% de sa collecte de fonds ? Aucune ! Le bras fiscal devenait donc par la jurisprudence « Témoins de Jéhovah » le bras armé de l’Etat contre toute association, politique, économique, philosophique, spirituelle, religieuse ou autre qui n’aurait pas l’heur de lui plaire. Une dictature n’aurait pas conçu meilleur dispositif pour étouffer tout espace de liberté !

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