Un arrêt en faveur des Témoins de Jéhovah

Un arrêt très important de la Cour européenne des droits de l’'homme en faveur des Témoins de JéhovahLa Cour européenne des droits de l’’homme, la plus haute juridiction des pays membres du Conseil de l’’Europe en matière de respect des droits de l’’homme, a rendu le 10 juin dernier un arrêt très important qui met fin au harcèlement administratif et judiciaire que subit la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah en Russie.

Il a été jugé que la Russie avait injustement dissous cette communauté.

Les raisons invoquées dans l’’arrêt peuvent s’’appliquer en France, pays où les nouvelles religions font également l’’objet de mesures administratives et judiciaires totalement injustes.

Voici le texte intégral du communiqué de presse publié en français par la Cour, disponible sur son site internet.

Communiqué du Greffier
Arrêt de chambre
1
Témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie (requête no 302/02)
DISSOLUTION ET REFUS DE RÉINSCRIPTION DE LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE DES TÉMOINS DE JÉHOVAH À MOSCOU INJUSTIFIÉS

A l’’unanimité :

Violation de l’’article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion)
Violation de l’’article 11 (liberté de réunion et d’’association)
Violation de l’’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) de la Convention européenne des droits de l’’homme

Principaux faits

La requête a été introduite par la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah de Moscou (« la communauté requérante »), fondée en 1992, et quatre de ses membres résidant à Moscou.

La communauté des Témoins de Jéhovah est présente en Russie depuis 1891. Après la Révolution russe de 1917, elle fut interdite en Union soviétique et ses membres furent persécutés. Après l’’adoption en 1990 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses, la communauté requérante, qui est la branche de Moscou des Témoins de Jéhovah, obtint auprès du département de la justice de la ville de Moscou, en décembre 1993, le statut de personne morale. En vertu de ses statuts, elle avait pour buts de « professer et diffuser sa foi et [de] mener une activité religieuse pour proclamer le nom de Jéhovah Dieu».

A partir de 1995, le « Comité du salut », une organisation non gouvernementale proche de l’’Eglise orthodoxe russe, saisit le parquet de district à cinq reprises de plaintes contre les dirigeants de la communauté requérante. En conséquence, une enquête pénale fut ouverte. Elle fut cependant abandonnée lorsqu’’un enquêteur recommanda d’’intenter une action civile contre la communauté requérante aux fins d’’obtenir sa dissolution et l’’interdiction de ses activités, ce que fit le procureur en avril 1998. Après avoir entendu plus de quarante témoins et experts et examiné un certain nombre de livres et documents religieux, le tribunal de district compétent déclara les griefs infondés. Le parquet ayant fait appel de ce jugement, l’’affaire fut renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal composé différemment.

Entre-temps, une nouvelle loi sur la liberté de conscience et les associations religieuses (« la loi sur les religions ») entra en vigueur, en octobre 1997. Cette loi imposait à toutes les associations religieuses qui avaient précédemment obtenu le statut de personne morale de mettre leurs statuts en conformité avec ses dispositions et d’’obtenir leur réinscription auprès du département de la justice compétent.

Entre le 20 octobre 1999 et le 12 janvier 2001, la communauté requérante demanda sa réinscription à cinq reprises, sans succès. En août 2002, la juridiction interne compétente jugea illégaux les refus du département de la justice de la ville de Moscou, sans toutefois ordonner la réinscription, estimant que les requérants devaient déposer une nouvelle demande, la forme des pièces à fournir à cet effet ayant changé entre-temps.

La procédure civile entamée en 1998 contre la communauté requérante s’’acheva en mars 2004 par une décision de justice ordonnant sa dissolution et interdisant définitivement ses activités.

La communauté était jugée coupable, notamment, des faits suivants : attirer des mineurs dans une association religieuse contre leur volonté et sans le consentement de leurs parents, contraindre les croyants à se couper de leur famille, porter atteinte à la personnalité, aux droits et aux libertés des citoyens, porter atteinte à la santé des citoyens, encourager le suicide ou refuser, pour des motifs religieux, une assistance médicale à des personnes dont l’’état de santé menaçait la vie ou pouvait laisser des séquelles graves, et inciter les citoyens à refuser d’’accomplir leurs obligations civiques.

Elle fut condamnée à supporter les coûts des expertises demandées au cours de la procédure et à rembourser à l’’Etat des frais d’’un montant total de 102 000 roubles russes. Elle forma contre cette décision un recours qui fut rejeté.


Griefs, procédure et composition de la Cour

Invoquant les articles 9, 11 et 14 (interdiction de la discrimination), les requérants se plaignaient de la dissolution de la communauté et de l’’interdiction de ses activités, ainsi que du refus des autorités russes de la réinscrire. Sur le terrain de l’’article 6, ils dénonçaient également la durée selon eux excessive de la procédure de dissolution.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’’homme le 26 octobre 2001.

L’’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Christos Rozakis (Grèce), président,
Nina Vajić (Croatie),
Anatoly Kovler (Russie)
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Dean Spielmann (Luxembourg),
Sverre Erik Jebens (Norvège),
George Nicolaou (Chypre), juges,

et de Søren Nielsen, greffier de section.

Décision de la Cour

Sur la dissolution de la communauté requérante (article 9 lu à la lumière de l’’article 11)

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la liberté de pensée, de conscience et de religion est l’’un des fondements d’’une « société démocratique » ainsi que l’’un des éléments les plus vitaux contribuant à former l’’identité des croyants, mais aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques et les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société.

La décision des juridictions russes de dissoudre la communauté requérante et d’’interdire ses activités a eu pour effet de l’’empêcher d’’exercer son droit de posséder ou de louer des biens, d’’avoir un compte bancaire, d’’engager des employés et d’’assurer sa protection juridique et celle de ses membres et de ses biens. Cette décision reposait sur la loi sur les religions et visait le but légitime de protéger la santé et les droits d’’autrui au sens des articles 9 et 11 de la Convention.

Toutefois, après avoir examiné en détail les arguments des autorités russes, y compris ceux des juridictions internes, la Cour juge que la décision de dissolution de la communauté requérante ne reposait pas sur une base factuelle adéquate. En particulier, les juridictions internes n’’ont pas avancé de motifs pertinents et suffisants pour montrer que la communauté requérante avait forcé des individus à rompre avec leur famille, qu’’elle avait porté atteinte aux droits et libertés de ses membres ou de tiers, qu’’elle avait incité ses adeptes à se suicider ou à refuser des soins, qu’’elle avait porté atteinte aux droits des parents ne faisant pas partie de ses membres ou à leurs enfants, ou encore qu’’elle avait encouragé ses membres à refuser de respecter une quelconque obligation légale.

Les contraintes imposées par la communauté requérante à ses membres, telles que la prière, la diffusion de leur foi par porte à porte et certaines restrictions quant à leurs activités de loisirs, ne sont pas fondamentalement différentes de contraintes analogues imposées par d’’autres religions à leurs fidèles dans la sphère privée.

De plus, la conclusion des juridictions internes selon laquelle certaines personnes avaient été forcées de rejoindre la communauté n’’est étayée par aucun élément. Le fait que la communauté requérante prêchait le refus des transfusions sanguines même en cas de danger de mort n’’est pas suffisant pour déclencher l’’application d’’une mesure aussi radicale que l’’interdiction de ses activités, étant donné que le droit russe laisse aux patients la liberté de choix quant au traitement médical qu’’ils souhaitent suivre.

En conséquence, la dissolution de la communauté a constitué une sanction excessivement sévère et disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi par les autorités. Ainsi, il y a eu violation de l’’article 9 de la Convention lu à la lumière de l’’article 11.

Sur le refus de réinscription de la communauté requérante (article 11 lu à la lumière de l’’article 9)

La Cour rappelle que la possibilité de constituer une personne morale est l’’un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’’association, sans lequel ce droit se trouverait dépourvu de tout sens. La communauté requérante existait et menait des activités en Russie légalement depuis 1992. A la suite de l’’adoption de la loi de 1997 sur les religions, elle a introduit plusieurs demandes de réinscription, qui ont été rejetées, ce qui a eu pour effet de l’’empêcher d’’en introduire d’’autres par la suite. Le département de la justice de Moscou a agi de manière arbitraire en omettant systématiquement de préciser pourquoi il jugeait les dossiers de demande incomplets. La Cour note encore que bien que la loi sur les religions n’’ait pas soumis la réinscription à des conditions de forme particulière, il a été demandé à la communauté requérante de réintroduire sa demande de réinscription sous de nouvelles formes. C’’est ce qu’’elle a fait dans sa cinquième et dernière demande, qui a néanmoins été rejetée aussi, sans que les autorités n’’indiquent qu’elles étaient précisément les dispositions sur le fondement desquelles elle aurait pu s’’appuyer pour réintroduire une demande de réinscription après l’’expiration, le 31 décembre 2000, du délai fixé par la loi.

La Cour conclut qu’’en refusant de réinscrire les Témoins de Jehovah de Moscou, les autorités moscovites n’’ont pas agi de bonne foi et ont manqué à leur devoir de neutralité et d’’impartialité envers la communauté requérante.

Ainsi, il y a eu violation de l’’article 11 de la Convention lu à la lumière de l’’article 9.

Sur la durée excessive de la procédure de dissolution (article 6)

La Cour note que les actions ou l’’inaction de la communauté requérante ont été la cause d’’un retard d’’environ six mois dans la procédure. Cependant, les autorités sont responsables du fait que l’’ensemble de la procédure a duré environ cinq ans et demi. Les Etats ayant l’’obligation d’’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent trancher les affaires dans des délais raisonnables, la Cour juge que la durée de la procédure de dissolution a été excessive, en violation de l’’article 6 § 1.
La Cour ne voit pas de raison d’’examiner séparément les griefs formulés par la communauté requérante sur le terrain de l’’article 14, et rejette la requête pour le surplus.

Satisfaction équitable (article 41)

La Cour dit que la Russie doit verser aux requérants, conjointement, 20 000 euros (EUR) pour dommage moral et 50 000 EUR pour frais et dépens.

***

L’’arrêt n’’existe qu’’en anglais. Ce communiqué est un document rédigé par le greffe. Il ne lie pas la Cour. Pour plus d’’informations sur la Cour, veuillez consulter son site Internet (http://www.echr.coe.int.)

Contacts pour la presse

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Nina Salomon (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 49 79)

La Cour européenne des droits de l’’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’’homme de 1950.

1 L’’article 43 de la Convention européenne des droits de l’’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’’arrêt d’’une chambre, toute partie à l’’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’’affaire soulève une question grave relative à l’’interprétation ou à l’’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’’elles ne demanderont pas le renvoi de l’’affaire devant la Grande Chambre.

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